Muigheal mis plusieurs heures pour monter sur le toit de l'immeuble new-yorkais. On lui avait demandé de venir ici ainsi, sous une forme humaine et le moins que l'on pouvait dire, c'était que la jeune femme était loin d'être à son aise sous cette forme. Il lui avait fallu tellement de temps pour comprendre le fonctionnement d'une simple porte. Même si elle en connaissait les ressorts, réaliser ce geste - si naturel pour les mortels - s'avérait plus délicat qu'elle ne l'avait crue. Pour tout dire, c'était la toute première fois qu'elle se trouvait sous cette forme. D'ordinaire, elle n'intervenait que sous sa forme initiale, dans son plan d'existence, loin de la conscience humaine, même si comparé à certains des siens, elle était bien souvent à leur contact. « Tu es mignonne sous cette forme. », dit une voix familière derrière elle.

L'ange se retourna, sursautant malgré elle. « Étonnant, n'est-ce pas. Ses réflexes qu'on les humains. » Muighael hocha simplement la tête. Elle n'avait jamais sursauté apparemment. Sous sa forme originelle, ce ''réflexe'' n'existait pas. Comme tant d'autres choses d'ailleurs. Marcher, courir, être inquiet, avoir faim,... Tant de choses qu'un être immortel n'avait pas. « Pourquoi m'a-t-on demandé de venir ainsi ? », demanda la désormais jeune femme. « Sois un peu patiente », murmura son supérieur, l'obligeant à tendre l'oreille pour comprendre ses mots. « Familiarise-toi d'abord avec ta nouvelle identité. Sens le vent sur ta peau, les odeurs de la ville, les choses que tu éprouves. Tout ça, c'est toi, c'est le monde qui t'entoure. Laisses toutes ses choses t'emmener, t'imprégner, tu n'en seras que plus humaine. » Elle fronça les sourcils, ne comprenant pas. « Humaine ? » Il se tourna vers la ville, observant le monde sous leurs pieds. « Nous aurons besoin de toi ainsi. Mais ça n'est pas encore l'heure. Dis-moi d'abord ton nom. » L'incompréhension était de plus en plus forte pour la blondinette. « Muighael. » L'ange claque la langue. « Je connais ton nom, mon ange. Ce que je veux, c'est son nom à elle ! » Il pointa son corps d'humaine du doigt et elle baissa les yeux dessus, restant silencieuses plusieurs minutes, cherchant à saisir le sens de ses mystérieuses paroles.

Il lui laissa le temps, le loisir de comprendre, de saisir et puis tout d'un coup, elle se planta devant son supérieur, plantant son regard dans le sien et un éclat d'intérêt s'afficha dans le regard de celui-ci. Elle avait compris, du moins en partie, il le savait et il attendit avec impatience qu'elle confirme ses dires en répondant à sa question. « Mairéad », souffla-t-elle. « Mairéad Líle O'Gallagher. » Elle était irlandaise de souche, bien qu'elle n'y avait jamais mis les pieds, ayant vécu toute sa vie en Amérique. Elle avait depuis toute jeune une hypersensibilité, un don particulier pour sentir et entrer en contact avec les esprits, les âmes errantes. Dans son petit village natal, elle avait rapidement été une attraction. La folle du village parlant aux morts. Alors, elle l'avait déserté dès que cela lui avait été possible et avait fait commerce dans le domaine mystique, enchaînant des petits boulots comme la voyance en ligne (arnaque totale d'après elle-même, d'ailleurs) ou la communication avec les défunts. Elle était une médium avec une certaine petite réputation et elle avait plusieurs fois prêté main forte à des ghostbusters ses trois dernières années, cherchant à guider les âmes errantes vers le repos éternel. « Qu'est-ce que... », balbutia-t-elle. Elle savait pourtant ce qu'elle était. Et elle n'était pas une médium. Elle n'était même pas humaine. Elle était Muigheal. Un ange du Seigneur, un de ses anonymes, au bas de l'échelle angélique. Du genre à faire tout le boulot et à n'en retirer aucune gloire. Elle protégeait les errants du royaume de l'au-delà, guidait les âmes vers le repos de l'éternelle. Elle était né il y a un temps infini, depuis un temps qu'on ne comptait plus et pas vingt-neuf ans plus tôt. « Nous avons jugé bon de te donner un bagage, une identité et une vie qui pourront t'aider à t'insérer. Une première n'est jamais évidente et tu n'as pas vraiment droit à l'erreur. »

Elle ne comprit pas de suite de quoi il parlait. Elle ne saisit pas qu'ils l'avaient envoyé dans une sorte de mission d'infiltration. Il lui fallu encore plusieurs minutes pour comprendre qu'ils voulaient qu'elle joue ce rôle, qu'elle soit Mairéad et qu'elle agisse comme elle. Qu'elle fasse exactement ce qu'elle avait toujours reproché à ces gens, ces pseudos psychiques jouant avec des forces dont ils ne comprenaient pas la moitié des implications. Son supérieur la tira de ses pensées, pointant du doigt un immeuble d'habitation. Un appartement, plus précisément. Une fenêtre, en particulier. « Il joue avec les âmes. Il les chasse, les invoque et cela devient dangereux. Ses connaissances l'ont amené à utiliser des techniques qui sont dangereuses. Dangereuses pour lui, mais aussi pour nous. Les forces qu'il appelle, ne sont pas toujours bonnes. Certaines s'en vont vraiment, mais la plupart restent et change juste de lieu. Les âmes que nous ramenons au Paradis, sont précieuses. Nous ne voudrions pas qu'il en vienne à nous en faire perdre. » Elle l'avait trop souvent vu. Les chamans, les sorcières et plus récemment les chasseurs de fantômes, tous détraquaient la machine, empêchant certaines âmes de rejoindre le purgatoire, contraignant d'autres à revenir des limbes. Jouer avec les errants n'était pas sans risque et encore moins sans conséquences. « Pourquoi moi ? », demanda-t-elle. « Pourquoi pas toi ? », lui répondit-il du tac au tac. Elle n'avait pas de réponse, pas moins qu'elle n'en avait pour la question qu'elle avait elle-même posé. « Guides-le Muighael. Emmènes-le loin de tout ça, loin de notre monde et des errants. Voilà ton unique mission à présent. »