Sa course effrénée ne s’arrêtait pas, perçant le ciel telle une lance de foudre. Car ce qu’il était à présent. Une grande lance de foudre toute rouge. L’œil le plus avisé n’y aurait vu qu’un mirage, passant sur sa tête en quelques secondes. La vitesse qu’il développait dépassait tout ce que les humains ne pourraient jamais atteindre. Il était dés à présent le projectile le plus rapide de la Terre. Il laissa derrière lui le sol de terre, pour ne voler que sur une mer immense, s’étendant à perte de vue. Très haut dans le ciel, il contemplait ce spectacle. Il tenait son épée dans sa main droite, pointant l’horizon, tandis que tout le reste de ses membres étaient collés sur tout son long, lui permettant un meilleur aérodynamisme. L’Atlantique passait à toute allure sous lui, tout cela pour enfin atteindre le continent suivant, sa destination. Il passa tout le long de cette nouvelle Terre jusqu’à s’arrêter à son extrémité. C’est alors qu’il s’arrêta brusquement et plongea vers le sol. Ceux qui auraient pu apercevoir le phénomène auraient vu un éclair solitaire rouge, frappant le sol. La poussière s’élevait, formant un nuage imperceptible.

Il ne savait pas encore ce qu’il devait faire. Il avait déjà visité un tel endroit, durant la lutte entre les cowboys et les indiens. Mais il avait bien changé. Les tribus locales avaient pour la plupart été décimées, se regroupant dans les grandes villes pour y espérer à trouver une vie meilleur. Un espoir vain. Il attendit donc, genou au sol, que la poussière ne retombe pour enfin se relever. Il ne savait pas à quelle heure humaine il était arrivé, il se doutait simplement être en fin d’après midi. Jetant un coup d’œil alentours, il jugea l’endroit, en quête de la ville ou du village le plus proche. Il en aperçu une, s’élevant au Nord de sa position. A environ cinq kilomètres, pas plus. Il ajusta sa toge noire, remit son épée en place et courut en direction de la cité humaine. Pendant le trajet, il jeta quelques  coups d’œil ça et là pour savoir si des gens avaient pu l’apercevoir. Rien de dangereux pour le moment, malgré les quelques lézards qui peuplaient l’endroit. Il arriva sur un chemin de goudron et le suivit, faisant un détour mais s’assurant qu’il arriverait à destination. En effet, il ne pouvait pas débarquer en ville en cassant la moitié des murs qui l’entouraient. Ce serait totalement inconscient. C’est donc pour cela qu’il préféra suivre ce sol artificiel.

Arrivé en ville, il pu en distinguer le nom : Fresno. Un bien étrange qualificatif pour ce genre de ville. Les bâtiments étaient anciens et légèrement hauts. Le soleil couchant provoquait des ombres de ces géants de briques, imposant un respect pour le travail des bâtisseurs humains. Ils étaient la preuve de la suprématie de ces humains. Il longea encore la voie qu’il avait choisi, jusqu’au centre de la cité. Il n’y avait rien de plus impressionnant ici, qu’il n’y avait ailleur. C’est là où s’étendait les bâtiments les plus anciens pensait-il. Il y jeta un bref coup d’œil, sans pour autant s’y arrêter plus d’une demi-seconde. La circulation alternait entre amoncellement d’automobiles et une absence totale d’être vivant. Il était dans cette période. Rien n’aurait pu troubler ce silence de mort, cela en était presque angoissant. Le peu de passants qui le croisèrent le jugèrent un instant, d’autres accélérèrent le pas. Il faisait toujours le même effet et n’avait toujours pas trouvé la cause. Même si son style était original, il ne voyait pas pourquoi tout le monde semblait le juger. Il les regardait donc un instant avant de se reporter sur la personne suivante. Que faisait-il ici ? Il ne le savait pas. La raison principale était qu’il avait dû fuir l’Europe, mais cette ville n’avait pas de quoi nécessiter un quelconque arrêt. L’attirance pour ce lieu restait un mystère, c’est pour cela qu’il resta là, sur le trottoir, en plein centre ville.

Il regardait le sol d'un air avide. Sa réception lui prodiguait une forte douleur dans le bas du dos et son nez saignait encore. Puis il leva les yeux vers l'enseigne du bar en grimaçant ; visiblement, ce n'était pas ici qu'il allait noyer son chagrin ce soir. Encore quelques unes et il n'aurait plus qu'à se rabattre sur l'alcool bon marché qui traînait encore dans son frigo. Cela faisait belle lurette qu'il s'était fait à l'idée qu'un peu trop d'alcool dans le sang le menait systématiquement à être belliqueux. Comme ce soir-là, où l'on dû le traîner de force à l'extérieur. Il passa sa main dans ses cheveux, comme pour vérifier une fois encore que sa tignasse blonde avait bel et bien remplacé les balafres dont il fut autrefois couvert. Cela faisait des années que le cauchemar était terminé, mais l'horreur de ce qu'il a autrefois vécu ne cesse de lui revenir en tête.

Les passants, il s'en moquait éperdument. Il envisageait déjà de noyer son chagrin dans un autre bar un peu plus loin, puisque le soleil n'était même pas encore couché. Il essaya de se rassurer en imaginant combien il serait restreint sur les horaires s'il était marié. Mais il se rendit bien vite compte que cela lui manquait. N'avoir personne pour le contenir, personne pour l'attendre le soir, personne pour soulager son fardeau. Il balaya le sang qui coulait de sa narine d'un revers avec sa manche, puis se releva en époussetant sa veste d'un geste frénétique. Son nez lui faisait mal.

Il était encore assez sobre pour tenir debout et porter ses jambes jusqu'à un banc, à quelques pas de là. Il s'avachit, l'air amorphe, perdu dans ses pensées. Son ventre émit un long tremblement, ce qui lui rappela qu'il n'avait pas mangé aujourd'hui. Peut-être serait-il plus sage de dépenser le peu qu'il lui restait en nourriture? C'était ça, ou bien quelques boissons et paquets de cigarette en plus. D'ailleurs, il tâta ses poches et en sorti le carton rectangulaire ainsi que son briquet, porta la cigarette à sa bouche et tenta de l'allumer. Le briquet n'émit aucune flamme, même après maints essais. Il le jeta rageusement au sol en grognant. Et leva les yeux vers l'étrange silhouette, sur le trottoir d'en face.

Il n’y avait rien à voir précisément. La nuit tombait peu à peu sur la ville, mettant sous silence les dernières ombres, avant que de nouvelles n’apparaissent. Les lampadaires automatiques s’allumèrent tour à tour, pour donner à la rue des allures de passage de lumière. Tout cela permettant aux yeux humains de voir quand le noir les submergeait. N’ayant aucune notion du temps, il ne savait pas depuis quand il était ici. Peut-être cinq minutes, ou cinq heures, qui sait ? Surement pas lui, et de toute manière, il n’en avait rien à faire. Le dieu posa son regard sur le seul objet qui était apparu et qui n’avait pas quitté la place depuis lors. Un jeune humain, assis sur un banc, avachi. Probablement que l’élixir qui rendait joyeux était passé par là. Dans son cas, cela l’avait rendu totalement amorphe. Et encore … Il le regarda prendre une tige de feuille et le placer dans sa bouche, avant de chercher dans sa poche un autre ustensile qu’il agita vigoureusement. Rien ne se produisit pourtant, et l’homme jeta son objet à terre. A première vue, cela ne devait pas fonctionner. Ce genre d’appareil n’était pas encore connu du dieu qui restait quelque peu perplexe quant à son utilité. Dans tous les cas, le jeune humain releva la tête vers lui, lui imposant son regard implorant.

Tyr ne pensait pas, vu la distance, qu’il pouvait voir sous la capuche. Lui pourtant, il pouvait apercevoir toutes les courbures de son visage, voyant en lui un regard interrogateur sur la vie elle-même. Cet homme, quoi que surement joyeux dû à l’alcool avait vu des choses qu’il n’aurait jamais dû voir. Cette personne lui inspirait une pitié profonde. Sa barbe mal rasée, ses cheveux en bataille laissaient présager une vie bien miséreuse, une vie sans but ni sens. Comment peut-on arriver à un tel niveau dans la société humaine. Qu’est ce qui avait poussé cet homme à faire les mauvais choix ? Car cela ne pouvait être que le cas. Tyr n’était pas un expert des humains, mais il vivait parmi eux depuis près de huit siècles. Assez de temps pour voir l’évolution positive, mais aussi tous les aspects négatifs qui en résultaient. La société des humains autrefois régit par les exploits, n’était désormais entretenue que par le travail forcené de ceux qui constituaient cette même société. Et si par erreurs, un chaînon devait être usagé, il était instantanément remplacé, et c’est ainsi que la société avait créé ce genre de personne. Dans tous les cas, cela résultait de choix gangrénés, qui avaient empoisonnés le reste de sa vie. C’était triste, mais c’était ainsi. Néanmoins, ce n’était pas cela qui choquait le dieu.

C’était principalement ses yeux. Et c’est ce qui le poussa à s’approcher de lui. Il traversa la voie goudronnée jusqu’à se poster debout, à côté de lui. Il ne doutait pas que sa tenue le choque, et c’est pour cela qu’il prit le soin de cacher son épée en refermant bien sa toge. Caché sous sa capuche, il restait néanmoins méfiant, car même si cet homme n’était qu’un humain, ou du moins en apparence, il pouvait être dangereux, ou cela pouvait signifier un autre piège. Une fois arrivé à son niveau, il le considéra un instant, puis prit la parole. Sa voix était normale, banale, sans se faire chaleureux ni hautain :

-Salutation. Peut-être avez-vous besoin d’aide ?

Il essaya de rester le plus neutre, car oui, Tyr voulait en savoir plus, mais encore une fois, il ne pourrait pas le contraire à lui répondre. Si l’humain l’envoyait paître, il ne pourrait aller contre. Sa réponse allait compter, et surtout la manière dont il la prononcerait. Il devait découvrir pourquoi ses yeux reflétaient une telle tristesse. Non pas à tous prix, mais au moins pour tenter de comprendre les humains. Car en effet, il n’avait eu que très peu d’interactions avec eux, se contentant d’être un protecteur, ou un observateur. Aujourd’hui, il avait décidé de changer.

Qui pouvait bien donc porter une telle tenue à une telle époque? Sûrement pas un homme se voulant intégré à la société contemporaine. Seul un marginal envisagerait de porter une telle tenue. Alors, quel type de marginal se trouvait-donc devant lui? Un religieux, sûrement. Un moine? Mais de quelle ascendance? Fresno n'était pas une ville réputée pour son passé religieux, ni même sur le chemin d'aucun pèlerinage. Un membre de secte, alors? Dans ce cas, il avait de bonnes raisons de se montrer méfiant.

L'homme se dirigea vers lui tandis qu'un éclair traversa son esprit. Et si c'était l'un des leurs, un agent venu des tréfonds venu pour le renvoyer d'où il s'était échappé? Ce présage le persuada de rester sur ses gardes tandis qu'il marchait en sa direction. Même s'il ne doutait pas de ses capacités de combattant, il craignait de ne pouvoir mesurer l'étendue des pouvoirs célestes dont pouvait être doté cet individu. Il jugea qu'il valait mieux se montrer galant, que s'il ne pouvait résoudre le problème par les poings, sa seule chance résidait alors dans la discussion.

Il posa son pied sur le trottoir pour enfin quitter la route, et se retrouver face au banc. Joshua se redressa, d'un geste presque agressif, en le regardant dans les yeux. Il s'étonna de voir un visage aussi jeune que le sien dans une tenue aussi improbable. Même s'il ne pouvait pas définir ce que c'était, quelque chose clochait chez cet individu. Soudain, ce dernier ouvrit les lèvres.

"Salutation. Peut-être avez-vous besoin d’aide ?"

Joshua fut étonné des paroles que prononça l'homme. Ce n'était pas tant la demande qui lui était formulée, mais le ton qui l'interpella. Il ne ressentait en sa voix ni désir d'aider, ni désir de nuire. Simplement un sentiment indicible de curiosité s'en dégageait. Il le toisa du regard pendant quelques secondes avant de se décider à répondre.

"Si vous avez du feu, je suis preneur."

En y repensant, s'il était réellement un agent des profondeurs, il venait de lui donner par ces paroles milles et unes façon de lui annoncer de manière magistrale qu'il était venu le chercher. Il n'y avait plus qu'à espérer que ce n'était pas le cas.

Tyr jugea toujours l’homme, tandis qu’il imposait un silence certain. Réfléchissait-il, ou simplement avait-il une idée derrière la tête pour le piéger. Ni l’une, ni l’autre des hypothèses ne pouvaient être vérifiées, et personne n’aurait pu dire ce qui allait se passer à présent. Quel que fut la réponse de l’homme, il semblait qu’elle allait résonner dans la ville entière. Que Tyr allait découvrir la peine réincarné. Le dieu de la guerre fronça légèrement les sourcils jusqu’à ce qu’il réponde :

Si vous avez du feu, je suis preneur.

Tout ce qu’il avait imaginé retomba soudainement à l’eau, ne laissant qu’une onde d’amertume soudaine dans l’atmosphère. La réponse était banale, pour un humain lambda. De plus, Tyr ne savait pas quoi répondre à cela. L’homme avait su maîtriser le feu depuis bien des années, il aurait trouvé logique que tous avaient un moyen de s’en procurer facilement, alors pourquoi en demander soudainement, à un inconnu qui plus est. Peut être d’ailleurs que l’humain connaissait Tyr justement, ce qui argumenta la théorie du démon. Pourtant, quelque chose lui disait qu’il se trompait. Et, encore et toujours, c’était ses yeux. Le dieu tenta de faire une phrase simple, pour tenter une approche plus facile :

-Je suis désolé, je ne puis accéder à votre demande.

Il s’avança encore et prit place à côté de lui, sur le banc. Il le regarda un instant, réfléchissant à ce qu’il pourrait bien lui dire. Il devait se montrer concis et persuasif, sans pour autant paraître grossier. La sagesse était un de ses traits et ce pourquoi il avait été créé. Néanmoins, il jugea que pour ce genre de personne, ces personnes qui avaient vu ce qui leur était interdit, avaient connu des choses avant l’heure. Ces personnes façonnées par leur société bancale. Pour elles, une question plus frontale s’aviserait plus sage. Car, il ne doutait pas que cette personne se tenait sur ses gardes. La peur l’avait submergée une fois, et pour rien au monde elle ne voulait que cela recommence. C’est pour cela qu’il dit, d’une voix toujours aussi neutre :

-Qui êtes-vous ?

Il savait que chez elle, du moins s’il ne s’était pas trompé, cette simple question éveillerait tout un cheminement qui conduirait inévitablement vers sa trahison. Il espéra néanmoins que l’homme qu’il avait en face de lui ne le prenne pour cible, sans quoi il devrait se défendre. Or, il n’en n’avait nul envie. C’est alors qu’après sa question, il se redressa sur le banc et leva la tête au ciel, essayant de scruter son monde si loin. Il espérait que cette position de replie laisse le temps à l’homme de réfléchir. L’espoir, c’était ce qu’il avait de plus précieux à ce moment. L’espoir qu’il ne parte pas, l’espoir qu’il l’aide à comprendre sa condition. Cet espoir qui faisait qu’il avait vécu si longtemps sans jamais chercher à se venger de son monde. Cet espoir qui aujourd’hui encore faisait battre son vieux cœur, à la recherche de quelques réponses. Tout cela dans un seul et unique but, sauver la Terre du courroux des démons. Et si en chemin il pouvait avoir des amis, ou même de simples connaissances, il ne resterait pas interdit à cela. Après sa pause de cinq minutes à regarder le ciel, il tourna la tête vers son interlocuteur, le fixant droit dans les yeux s’il le regardait. C’était à ce moment que tout se jouait.